samedi 5 mai 2012

François Confino, muséologue révolutionnaire


François Confino, architecte muséographe et scénographe, est le créateur de l'exposition "Cités-Cinés" à la Grande Halle de la Villette en 1987, ouvrant la nouvelle voie à l'art scénographique. Précurseur, il a définit le nouveau métier de muséographe.
Aujourd'hui, après une longue carrière marquée de succès, il parcours le monde et ne cesse de nous surprendre, en insufflant la vie dans tous les projets qu'il entreprend. 

Pouvez-vous vous présenter ?

Je travaille depuis une trentaine d’année dans le domaine de la muséographie d’exposition et la scénographie notamment à New-York et à  Paris mais aussi dans le monde entier.
Aujourd’hui, je m’occupe des projets avec Véronique Rosen, ma chef de projet tandis que Michel Helson s’occupe de l’éclairage et de l’audiovisuel.

Quand est née votre passion ?

J’ai toujours eu envie de faire de l’architecture ou du design depuis que j’étais petit. Et quand j’ai fait de l’architecture d’HLM j’ai toujours voulu faire des projets originaux. Et New York m’a beaucoup appris car j’ai pu faire des propositions originales même si ça ne marchait pas toujours, je me suis bien amusé. A New York, j’ai aussi tourné des films documentaires et de fictions. J’avais déjà le goût de l’image.

Vos parents étaient dans ce milieu ?

Pas du tout, mon père était interprète aux Nations-Unis et ma mère a fait beaucoup de peinture quand elle était jeune mais elle était mère au foyer. Mes parents étaient très cultivés et m’amenaient beaucoup dans des musées. J’ai beaucoup voyagé quand j’étais enfant car mon père nous amenait partout.

Une fois votre diplôme en poche, qu’avez-vous fait ?

Je suis parti pendant cinq ans à New-York et là j’ai effectivement beaucoup appris sur ce que pouvait faire un architecte en dehors de l’architecture. C’est d’ailleurs à cette époque que le Centre Georges Pompidou, qui était alors en création, m’a invité avec des associés à faire la première exposition du Centre en 1977. Après, je me suis installé dans la région comme architecte, j’ai construit à Bagnols-sur Cèze, à Alès, un petit  peu dans tout le sud de la France, mais très vite, j’ai eu envie de faire essentiellement de la muséographie et de la scénographie car ça m’apportait beaucoup plus. Vers les années 1990, je me suis lancé exclusivement dans le domaine des expositions et des musées.

Comment avez-vous évolué vers votre métier de muséologue d’exposition ?

En apprenant. En faisant la première exposition au Centre Georges Pompidou, j’avais appris beaucoup de choses et après je savais un petit peu mieux comment m’orienter. Et j’ai eu beaucoup de chance car j’ai un ami, François Barré, qui était le président du Centre Pompidou à cette époque et qui m’a confié de gros projets. Le premier  projet que j’ai fait avec lui, c’était l’exposition au Centre Pompidou et puis après il m’a confié une grande exposition à la Grande Halle de La Villette à Paris sur le cinéma Cités-Cinés  qui a eu un retentissement très surprenant. Nous ne nous attendions pas du tout à ça, nous avons eu 450 000 visiteurs en trois mois. C’était un record. A la fin on a même ouvert la nuit, ça ne c’était jamais vu à Paris. C’était très innovant, sur 6000 m2, les gens se baladaient comme s’ils étaient dans une ville de fiction dans laquelle on projetait sur de grands écrans des extraits de films. Nous avions inclus dans l’exposition trois restaurants et un dancing. Les gens pouvaient aller danser, prendre un verre, se promener. Donc voilà, ça a fait un tabac. Et à partir de ça, nous avons eu des propositions du monde entier. L’exposition universelle  de Séville en 1992 c’est comme ça que nous l’avons et celle de 1998 à Lisbonne aussi.

Quels sont vos principaux projets ?

J’ai travaillé à l’international dans tous les pays du monde comme les Etats-Unis, le Canada, le Brésil, la Nouvelle Zélande, le Japon et la Chine. Mais j’ai bien aimé m’investir sur le Musée de l’Aiguille en Normandie, un petit musée très rigolo. Pour l’exposition universelle de Shanghai nous avons fait le pavillon d’exposition de la ville du futur, l’un des principaux de l’exposition. Actuellement je travaille en Guadeloupe pour le Mémorial sur l’Esclavage. Le Musée de l’Automobile et du vin vient d’ouvrir en Italie et  j’ai en cours trois gros projets en Suisse dont un sur le Cerveau en collaboration avec l’Université de Genève, un sur Charlie Chaplin et un troisième sur les dinosaures dans le Jura. Je reviens du Maroc où l’on me confie deux projets sur la paléontologie, situés chacun aux deux extrémités de l’Atlas dans un parc gigantesque protégé par l’Unesco et inscrit au patrimoine de l’humanité. Le premier sera implanté sur le site où l’on a trouvé des dinosaures et l’autre plus général traitera du parc et de la paléontologie.

Quelles sont vos références en matière de spectacle de rue ?

Je peux citer le défilé-spectacle « Paris Libéré » pour les 50 ans  de la libération à Paris en 1994 alors que Jacques Chirac était le maire de Paris et que Jean-Jacques Aillagon était ministre de la culture. C’était une énorme manifestation, on partait de la Porte d’Orléans pour arriver à la mairie de Paris. Il y a eu quinze millions de spectateurs et le budget était de 1,8 millions d’euros. J’ai fait aussi un spectacle à Lisbonne en 1998 avec le metteur en scène français Philippe Gentil. C’était un spectacle qui se jouait cinq fois par jour dans une salle de dix mille places pendant quatre mois. Nous avons eu 3,5 millions de spectateurs. Nous aurions dû être dans le Guinness Record pour la pièce de théâtre qui a reçu le plus de monde en moins de temps.

Quels sont les coûts de tels projets ?

Concernant la scénographie uniquement sans l’architecture, le budget général pour le projet de la Banque de France commencé en 2011 et qui ouvrira en 2014 est  autour de 5 millions d’euros. Celui du Musée de Charlie Chaplin en Suisse est aux alentours de 10 millions d’euros. Le Musée de l’Automobile qui a commencé en 2003 et que l’on vient de terminer à Milan avoisinait les 9 millions d’euros. Le budget du projet sur le Musée de l’Esclavage en Guadeloupe va être de l’ordre de 4 millions d’euros. Nous y travaillons depuis trois ans mais nous rencontrons beaucoup de freins administratifs, ce qui fait reculer d’autant son ouverture.

Comment faîtes-vous pour décrocher un projet ?

Parfois j’ai des contacts, parfois nous répondons à des concours, souvent je me renseigne. Une fois j’ai gagné un concours à Los Angeles devant cinquante équipes et c’est moi qui l’ai eu alors que j’étais le seul qui n’était pas anglo-saxon. Ça m’a fait très plaisir, c’était pour le Musée d’Histoire Naturelle de Los Angeles sur lequel on a travaillé pendant quatre ans.
Mais comme nous avons aujourd’hui une bonne notoriété internationale, très souvent nous avons des propositions de projet, ce qui nous permet de choisir. Par exemple, nous avons été sollicités pour  le Maroc et la Suisse, nous avons fait un concours pour la Banque de France et le Mémorial de l’Esclavage.  Tous les musées que j’ai faits en Italie étaient sur invitation personnelle.
Du coup, nous n’avons plus le temps de nous occuper de petits projets. J’ai une proposition de projet à Bordeaux, mais j’hésite car c’est plus compliqué d’aller à Bordeaux qu’à Paris d’Uzès.

Quel thème préférez-vous traiter ?

Tout m’intéresse. Nous avons abordé des thèmes complètement différents en passant par les insectes, les paquebots à Saint-Nazaire, l’argent avec la Banque de France. Nous sommes éclectiques.

Comment vous viennent  les idées ?

Elles émergent de brainstorming entre mes collaborateurs et de moi. J’aime beaucoup penser à des projets quand je roule en voiture ou quand je suis dans un train ou un avion. Je n’y pense pas avant.
Non, moi j’aime bien avoir un projet et donc un sujet à penser. J’ai toujours l’impression de revenir à l’université car j’apprends beaucoup de choses que je ne connaissais pas comme par exemple sur l’économie ou les insectes. Sur l’automobile je n’ai pas appris grand-chose car je connaissais déjà bien le sujet. Et je suis très content d’avoir appris mais l’histoire de l’esclavage grâce au musée du mémorial.

Quelle est la part de la recherche et de la documentation ?

Une partie énorme ! Nous avons une très grosse bibliothèque et nous surfons sur le net. Ce travail de recherche continue tout au long du projet. Sur un projet, rien n’est figé, tout évolue en permanence dans la mesure du possible. Par exemple, le Musée de l’Automobile de Turin bien étant réalisé en huit années a encore évolué un mois avant son inauguration.

Est-ce un métier stressant ?

C’est un peu de stress, moi je ne suis plus beaucoup stressé, c’est un peu de tension mais en même  temps de la tension intéressante.

Faut-il avoir un diplôme d’architecture pour faire ce métier ?

Au départ mon métier n’était pas très bien défini. Les gens disent que j’ai beaucoup innové dans le métier en faisant des choses beaucoup plus spectaculaires que ce qui se faisait auparavant. J’inclus, de la musique, du son, des projections, des effets spéciaux, etc. Aujourd’hui, plusieurs confrères le font aussi, mais autrefois,  j’étais le seul. Les gens qui font ce métier ne sont pas nécessairement architectes, ils viennent d’école de design, du théâtre, d’école d’architecture d’intérieur. Mais il faut impérativement savoir dessiner.

Quelles sont les qualités requises pour être muséologue d’exposition ?

Il faut savoir voir dans l’espace et faire preuve de fantaisie. Si on a de l’humour c’est encore mieux. Il faut avoir de très bonnes connaissances techniques pour pouvoir, par exemple, choisir le type de projecteur le mieux adapté pour éclairer un objet en lui donner du mystère ou au contraire l’éclairer violemment. Il n’y a pas de qualité première, pour faire du bon travail il faut savoir jongler avec énormément de choses. Par exemple, lorsque je monte une scène, je vais aussi proposer une musique, il faut donc avoir une bonne connaissance en musique.

Est-ce que c’est un métier difficile à vivre ?

Les trois dernières années ont été plus difficiles que la normale, mais comme on a beaucoup de projets intéressants, ça va. Mais les jeunes qui sortent des écoles aujourd’hui ont effectivement beaucoup de difficulté puisqu’il y a trop d’architectes en France. A Uzès, ville de 7000 habitants, il y a 18 à 20 architectes alors qu’il faudrait un architecte pour 2000 habitants. Deux ou trois architectes seraient suffisants et c’est pour cette raison que c’est difficile. Par contre si vous allez à Tourcoing il y en a un peu moins. Par contre dans mon métier, je n’ai pratiquement pas de concurrence puisque les responsables des autres agences d’Uzès sont des amis, on ne se sent pas concurrents. Quand il y a un concours, on se consulte pour savoir si on part ensemble ou pas. C’est très amical comme relation.
En France il y a une centaine de scénographes alors qu’il y a 24000 peut-être 30000 architectes maintenant.

Pourquoi, votre métier est-il toujours aussi passionnant ?

Chaque  fois qu’un projet arrive c’est une nouvelle thématique, je retourne à l’université, j’apprends de nouveau. Ça garde l’esprit jeune. Certains diraient que l’inconvénient du métier tel que je le pratique sont les voyages, mais moi j’adore voyager donc ce n’est pas un problème. Certaines années, j’ai même pris trois cent fois l’avion par an.

Qu’est-ce qui vous plait dans ces voyages ?

Quand je voyage, je rencontre des gens très cultivés que je ne rencontrerai jamais si j’étais un simple touriste. L’autre jour alors que j’étais au Maroc, j’ai rencontré un gouverneur, le préfet, des chercheurs en paléontologie, ils m’ont amené dans des endroits où les touristes ne vont jamais. Et en Chine, je suis allé dans des endroits invraisemblables.

Qu’est que vous a le plus frappé au cours de votre carrière ?

Ce qui m’a le plus marqué, c’est l’ouverture d’esprit des gens que j’ai rencontré, comme François Mitterrand ou Jacques Chirac. J’étais très amis avec Jean Carnet qui était acteur et habitait à côté de Lussan, j’ai même rencontré Patrick Tilmsit. C’est l’aspect agréable dans ce métier de pouvoir rencontrer des personnalités intéressantes qui ont des fonctions importantes. J’ai rencontré beaucoup d’acteurs de cinéma, car j’ai fait plusieurs expositions sur le cinéma. J’ai rencontré Mastroianni. Je ne peux pas tous les citer.

Quelle expérience vous a le plus passionné ?

L’exposition Cité Ciné car elle avait une approche très originale avec son restaurant, son dancing et ses boutiques au cœur de l’exposition. C’est une expérience qu’on a renouvelé en Belgique, au Canada, au Japon et on a même aujourd’hui  une demande de la Chine. Et il y a aussi un petit musée que j’ai fait avec ma femme il y a une quinzaine d’année sur le musicien Eric Satie,  le musée d’Honfleur et c’est pour moi une des expositions qu’on a le mieux réussi.

Avant la fin de ma carrière, j’aimerai faire un musée scientifique car je trouve que les musées occidentaux présentent la science de manière trop morcelée. J’aimerai faire un musée des sciences à la manière orientale où tous les phénomènes ont un lien les uns avec les autres. Et l’exposition sur le cerveau pour Genève respecte cette optique-là.

Vous avez donné le goût pour votre métier à vos enfants ?

Je travaille avec mon fil ainé sur le projet de la Banque de France car il est diplômé d’Economie et a un très bon feeling. J’ai un fils qui est journaliste scientifique en Suisse pour la radio et la télévision Suisse Romande et j’ai une fille, Eléonore,  qui est actrice, comédienne de théâtre, écrivain et qui vit de son métier. Elle a écrit plusieurs pièces de théâtre et a gagné le grand prix de l’écriture théâtrale l’an dernier, sa pièce va être jouée dans une vingtaine de ville cet automne, ça s’appelle Building. Une écriture cinglante et pleine d’humour.

Quels seront vos futurs projets ?

J’ai de futurs projets en Chine comme celui de la Ville du Cinéma pour Shanghai ou le Musée du vin et du foie gras, les chinois s’intéressant de plus en plus à la gastronomie française.

Pourquoi avez-vous choisi d’installer votre agence à Uzès ?

Après avoir travaillé à Paris et à New-York pendant une trentaine d’années, j’ai choisi de goûter aux plaisirs de la vie à la campagne et je me suis installé dans la petite ville de Lussan en 1996. Uzès étant très proche de Lussan, c’était finalement plus pratique pour moi et mes huit collaborateurs d’implanter mon agence dans une ville un peu plus grande comme Uzès, tout en restant confortable. Uzès bénéficie d’une bonne dimension, il n’y a pas de problèmes de stationnement et j’adore faire le marché le samedi !  C’est donc naturellement qu’en janvier 2011, j’ai créé mon agence située place aux Herbes à Uzès. Je travaille d’ailleurs depuis une dizaine d’années avec mes « satellites », les agences Les Crayons ou le Nez Haut, implantées elles aussi à Uzès. Ce sont  tous d’anciens collaborateurs que j’ai moi-même formés.

Envisagez-vous de créer un projet dans la région ?

Je ne suis pas prophète dans mon pays. La réalisation de Micropolis, c’était le projet le plus proche que j’ai fait dans la région. Ce qui pourrait me plaire, c’est de faire un beau décor de spectacle pour le Festival d’Avignon, mais je ne cherche pas vraiment. Le musée du Bonbon mériterait aussi un peu plus d’originalité. Mais le projet qui m’intéresse vraiment, c’est Marseille, ville culturelle pour 2013.

Quelles difficultés avez-vous rencontré dans la région ?

Mon dossier pour le projet d’aménagement du Pont du Gard n’a pas abouti puisque la réponse, mesquine à mon goût, était que je n’avais pas les compétences nécessaires pour réaliser ce projet ! Du coup, je vais chercher beaucoup plus loin mon travail et j’en suis pleinement satisfait.
Mais même si je suis de gauche, je dois dire qu’il y a eu seulement un maire de droite à Nîmes, Monsieur Bousquet, qui a fait des choses remarquables et m’a fait travailler sur une exposition. Mais sinon, ici aujourd’hui plus personne n’a d’ambition.

Qu’envisagez-vous à l’avenir pour vous et votre agence ?

L’agence est un peu touchée par la crise puisque les affaires mettent plus de temps à se mettre en place et comme nous recherchons beaucoup d’argent à l’extérieur ça prend du temps. Mais, l’un dans  l’autre, nous avons un très bon avenir devant nous. J’ai soixante-cinq ans et je ne suis pas du tout prêt à décrocher, j’ai envie de continuer car ce métier me passionne. Donc la retraite à soixante ans ce n’est pas pour moi.



 ©Véronique Pouzard 
© Photos non libres de droit
En savoir plus ? Suivez le fil François Confino

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire