samedi 3 décembre 2011

Vincent Lacroix, peintre contemporain au regard aiguisé

Vincent Lacroix est un artiste peintre de talent. Ses œuvres qui se rattachent au courant courant « expressionniste » et « pop », ne laissent pas indifférent. Dérangeantes, leur expression est à fleur de peau. Après plusieurs salons, il est aujourd’hui exposé dans au musée de l'art Brut à La Palice, dans l'Allier.

Pouvez-vous expliquer votre parcours ?

Quand j’étais petit j’étais déchiré entre la peinture et les mathématiques. Mes professeurs poussaient mes parents à m’orienter vers une carrière scientifique, et moi je désirais entrer aux Beaux-arts. Finalement, je suis devenu ingénieur, tout en restant artiste peintre. C’est assez frustrant d’une part, mais mon travail en est influencé : rigueur de la construction géométrique, usage de techniques modernes comme les tablettes graphiques pour faire la préparation.

Quels sont vos points forts et vos points faibles ?

Concernant mes points forts, je dirais que je suis précis, rigoureux et organisé. Mon atelier ne ressemble pas à celui de Bacon où les tubes trainaient par terre, mais plutôt à celui de Mondrian (pas la moindre tâche), ou des peintres d’autrefois (qui allaient jusqu’à mettre de riches costumes pour peintre). Mon regard sur le monde est par ailleurs en perpétuelle transformation, et teinté d’une vigilance soupçonneuse : et j’ai tendance à douter systématiquement d’un discours, dès lors qu’il est trop largement répandu.

Quant à mes points faibles, je supporte mal incident et accident qui grippent la machine bien huilée mais fragile de mon organisation personnelle. Je me méfie des improvisations et je crains les surprises. Je suis incapable de faire un croquis à la volée, sur un coin de table, au milieu du tumulte qui m’entoure. Il me faut la solitude et le silence de mon atelier, mes outils et mes techniques, ainsi qu’une préparation psychologique.

Qu’aimez-vous et que détestez-vous ?

J’aime les graffitis colorés le long des voies de chemin de fer. Je déteste les expositions d’art conceptuel qui dégagent un intellectualisme desséché depuis déjà de longues années. J’aime les films de Frederico Fellini, les livres de Joseph Conrad.
Je déteste que dans les grandes villes, les gens se croisent en évitant de se regarder. J’adore la peinture de Phillips Wouwerman un peintre hollandais (1619-1668) aujourd’hui oublié (bien  que très présent au Louvre), J’aime ceux qui nous font rire de tout, y compris de ce qui n’estpas drôle au départ (Laurent Gerra par exemple)

Qu’est ce qui a influencé ta peinture ?

Quand j’avais 14 ans, j’étais comme tous les enfants fasciné par la bande dessinée sous toutes ses formes, et plus par exemple par l’univers baroque et futuriste de Philippe Druillet. Je l’ai rencontré un jour alors qu’il dédicaçait ses albums. Avec un simple feutre noir, il a fait surgir en quelque secondes devant moi un  personnage herculéen et visqueux qui hurlait de colère.
J’ai compris alors toute l’intensité que l’on pouvait insuffler à de simples lignes, et j’ai rêvé d’avoir comme lui ce pouvoir démiurgique.

Quelle vision du monde cherchez-vous à révéler à travers vos œuvres ?

Ma vision du monde est assez pessimiste. J’ai la sensation que l’humanité a atteint une certaine apogée mondialisée (pas forcément très brillante, mais une apogée tout de même), mais qu’une dégringolade menace, concernant notamment l’accès aux ressources. J’ai en outre la sensation que la laideur et l’uniformité gagnent du terrain et rongent notre univers comme une lèpre. Tout en travaillant sur ces thèmes dans mes tableaux, j’essaie malgré tout d’y apporter un peu de couleur, d’esthétique et d’humour.

Comment est née votre passion de la peinture ?

Je dessinais étant petit comme le font tous les enfants, mais en plus, je feuilletais souvent les livres d’art de la bibliothèque de mes parents (je me rappelle surtout de Dürer et de Velasquez). Par ailleurs, vers l’âge de 12 ans je regardais une émission à la Télé qui  s’appelait « Du tac au tac », dans laquelle des dessinateurs de BD travaillaient en groupe en se répondant « du tac au tac » justement. J’étais complètement scotché… Je me suis mis alors à copier des tableaux de maitre, et à créer mes propres bandes dessinées à la gouache. Petit à
petit je me suis dédié à la peinture.

Comment définissez-vous votre style ?

C’est une forme de peinture qui se rattache aux courants « expressionniste » et « pop ».
Expressionniste sur le fond, car l’expression transforme le désarroi intérieur du peintre dans un message existentiel et sociétal, assez corrosif, bien qu’une forme d’humour s’inscrive parfois dans l’œuvre finale. On retrouvera en cela une filiation avec des peintres issus de expressionnisme allemand des années 30 comme Otto Dix ou Georges Grosz.
Pop, par les couleurs, les volumes les lignes, qui tirent dans les arts populaires contemporains (bande dessinée, jeux vidéo, dessins animés en 3D, tags et graphs, playmobils et toy culture, etc.) un dynamisme et un éclat qui a disparu dans la production élitiste et  desséchée d’un grand nombre de zélotes de « l’art contemporain ». Mon travail se rapproche en cela de certaines figures du pop art et de la figuration narrative, en particulier Peter Saul, Robert Combas, Hervé di Rosa.

Quel est le message de vos œuvres ?

En opposition totale avec le courant actuel de l'art conceptuel ou de l'art abstrait, ma peinture cherche à répondre aux attentes esthétiques et éthiques qui sont restées souvent sans réponse depuis les années cinquante. Le sens esthétique naît surtout du plaisir sensuel, mais il s'enrichit aussi avec la signification et la narration. L'éthique est ce qui règle (ou devrait régler!) le sens de nos rapports aux autres et au monde. Éthique et esthétique se fécondent mutuellement : le Radeau de la Méduse ou Guernica offrent les plaisirs esthétiques des réussites picturales avec un impact amplifié par les messages qu’ils portent. Réciproquement,
ces derniers seraient sans retentissement sans le plaisir visuel qui les accompagne.

Quelle a été l'évolution de votre peinture ?

Ma peinture a toujours oscillé entre un réalisme, centré sur la vie urbaine, et une vision parodique de la vie moderne, influencée par les cartoons, les jeux vidéo et les dessins de presse. Plus le temps passe, et plus le monde réel m’attriste et me lasse, et je me tourne de plus en plus vers un univers allégorique et onirique.
J’ai abandonné la technique directe, d’un travail en pâte avec des résines acryliques, pour me tourner vers des démarches anciennes, des expressions plus fines et précises à l’aide de glacis à l’huile. La pureté cristalline d’une œuvre de Carpaccio étant pour moi plus émouvante que le brouillard coloré d’un Claude Monet.

L’objectif de votre travail est de réaliser des œuvres d’art qui font « sens ». Pouvez-vous préciser ?

L’objectif de mon travail est la réalisation d’œuvres d’art qui « font sens », et ce, dans trois acceptions du mot « sens » :
• un « sens » est d’abord un canal de perception (la vue, dans le cas la peinture), porte d’entrée d’un déplacement qui nous conduit du sensoriel jusqu’au sensuel pour aboutir ensuite à des représentations, des évocations et des émotions. Un retour de la peinture vers les valeurs fondamentales du plaisir visuel (harmonies des lignes, équilibre des formes, suggestion des volumes, musicalité des couleurs,
etc.) est donc le premier principe directeur de mon travail.
• Le mot « sens » désigne également la signification des choses : cette peinture assume pleinement l'expression d'un discours sur leur sens profond. Une marge d’ambiguïté subsiste cependant qui permet au spectateur de reconstruire sa propre interprétation voire une interprétation radicalement différente de celle du peintre.
• Le mot « sens » désigne enfin l’orientation spatiale, la direction (sens vertical, sens horizontal, sens giratoire). Ma peinture étant une figuration narrative, le sens de lecture de l'image, la direction des éléments représentés ont une grande importance dans la composition, à l'instar des codes utilisés dans la bande dessinée, dans la
peinture gothique, ou dans celle de la première Renaissance (par exemple dans le cycle de la légende de Sainte Ursule par Carpaccio, où l'ordre de succession des scènes donne le sens du récit).

Votre dernière œuvre, est le « Jeu de la 7ème coupe », quel est son sens ?

Le tableau s’appelle le « Jeu de la 7ème coupe ». La 7ème coupe est celle de l'Ange de l'Apocalypse (chapitre 16) qui déverse le tonnerre et le feu, la grêle et les séismes sur l’orgueilleuse Babylone. La ligne pourpre qui serpente au loin dans le paysage, est l'œuvre de la 3ème coupe, qui a changé l'eau des fleuves en sang. Cela dit, il s'agit d'une Babylone de plastique et d'un exterminateur d'opérette. De multiples interprétations sont possibles (chaos de la politique internationale, apocalypse environnementale, jusqu’à l’interprétation psychologique : notre "Babylone intérieure" et ses désirs souvent puérils). Le tableau est conçu afin que chacun y apporte son interprétation en la construisant sur les nombreux indices qui parsèment le tableau.

Le Jeu de la 7ème coupe
2011 - huile sur Alu Dibond 81 x 100 cm



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