mercredi 28 novembre 2012

L'Expédition Pôle Nord 2012

Aventurier dans l'âme Julien Cabon n’a cessé, ces dix dernières années, de parcourir le monde. 

Qu’il soit à bord d’un sous-marin nucléaire au milieu de l’océan Indien, aviateur au cœur de l’Afrique ou encore, embarqué à bord d’un navire de contrebandiers au large du Yémen, ce Grand Reporter, d'une trentaine d'années a un parcours qui semble comme truffé de « micro vies ».  

Mais depuis quelques temps, c’est sa passion pour les régions polaires qui a pris le dessus. Après un mois passé seul à bord du voilier Vagabond emprisonné dans les glaces de la banquise du Spitzberg, il décide de se lancer avec son ami scientifique Alan Le Tressoler, dans un projet pour le moins givré : s’installer avec une simple tente quelques semaines à l’endroit exact du pôle Nord géographique, sur l’axe de rotation de la Terre ! 

L'objectif de cette expédition dénommée Pôle Nord 2012 était à la fois de sensibiliser le public à la problématique de l'océan glacial arctique mais aussi d'effectuer des relevés scientifiques inédits pour sept différents laboratoires de recherche. De retour sur terre, Julien Cabon, l'explorateur, témoigne avant la sortie de son film et de son livre en 2013.



Que recherchez-vous à travers vos voyages ? 

C’est une question difficile. Parce que l’on cherche toujours des prétextes au voyage. Par exemple, le journalisme, l’humanitaire ou les grandes causes sont d’excellents prétextes qui vous donnent d’excellentes raisons de partir. Mais pour être honnête, la seule raison qui me pousse à voyager c’est l’ennui. Je ne cherche à travers mes voyages qu’ à me désennuyer…

Enfant,j'avais envie d'essayer tous les métiers. J’avais beaucoup de rêves, et comme je ne me suis jamais imposé de limites, je suis condamné à poursuivre mes rêves d’enfant… Ça peut sembler parfois laborieux ou risqué, mais je trouve que c’est encore pire de ne pas essayer.

Après, l’ailleurs est une drogue dure dont on a du mal à décrocher, et il m’arrive parfois de me sentir inadapté dans la vie de tous les jours… Mais je progresse…

Comment s’est déroulé votre voyage au Yémen ? 

Adolescent j’ai toujours été fasciné par le livre Fortune Carrée de Joseph Kessel et les secrets de la mer rouge d’Henry de Monfreid. Cette zone de la corne de l’Afrique, jusqu’à l’Arabie heureuse (Le Yémen), représentait pour moi une zone de liberté absolue ou tout était possible. Monfreid, trafiquait des perles, du haschich, des armes, faisait de l’espionnage…

J’avais envie d’aller chercher ces images ancrées dans mon imaginaire.

Dans le petit port de Djibouti, j’ai pu rencontrer des contrebandiers d’alcool. Nous avons traversé ensemble la mer rouge pour nous rendre à Moka, au Yémen, sur un petit boutre (bateau traditionnel de la mer rouge et du golfe persique) d’une dizaine de mètres qui prenait l’eau et était envahi de rats.

Mais Monfreid et Kessel sont morts, et j’ai découvert que pendant la traversée, dans le détroit de Bab el Mandeb, deux mondes se croisaient. Un flux incessant de  gros pétroliers et de portes containers chargés de biens de consommation destinés au monde occidental coupaient sans le voir la route de notre petit rafiot avec son chargement de bouteilles d’alcool et sa cargaison de fortune. J’ai toujours le souvenir de ces deux mondes qui se croisent. L’invisible et misérable trafic du tiers monde qui peut à tout moment se faire broyer par les navires géants de la société de consommation. Je n’oublierai jamais cette image.

Qu’en est-il de votre  expérience au Liban en tant que grand reporter pour Cols Bleus ? 

C’était en 2006 lors du conflit entre Israël et le Hezbollah. A titre personnel, ce fut ma première expérience du feu et de la guerre. Beyrouth était en flammes, et à la frontière Israélienne, les tirs passaient au-dessus de Nakoura. On ne se déplaçait qu’en gilets pare balles dans les villages, en allant se réfugier dans des bunkers à chaque alerte.

La marine française y a rapatrié plus de 8000 personnes vers Chypre à bord de portes hélicoptères. Les hangars étaient bondés de lits de camps, les gens avaient tout perdu. Lorsqu’ils arrivaient sur le bateau, ils étaient soulagés d’être en vie et en sécurité mais ils avaient pour la plupart perdu plusieurs membres de leur famille. Ce fut une expérience que je ne souhaite pas revivre.

Et quand vous rentrez, vous réalisez à quel point la paix est une chose précieuse. La jeune génération, en France, malgré tous nos problèmes conjoncturels a une chance immense de ne pas avoir connu la guerre. On a parfois tendance à l’oublier.

Vous avez vécu 35 jours dans un sous-marin, pourquoi ? 

D’abord parce que j’avais la chance d’être payé pour vivre cette expérience, lorsque j’étais reporter pour le Magazine de la Marine et de la mer! Et aussi pour en faire un livre qui sera d’ailleurs prochainement réédité.

Et puis surtout parce que c’était une expérience que je rêvais de vivre depuis longtemps.
Pour moi partir dans un sous-marin nucléaire d’attaque, c’était un peu comme partir dans une navette spatiale.

Tout est compliqué dans un sous-marin : 75 personnes vivent dans 70 m2. Les activités les plus simples du quotidien comme manger, dormir, se laver, prennent une autre dimension.

Quand on se dit qu’on est sous la mer, à plusieurs centaines de mètre de fond, qu’on ne peut pas sortir, qu’il n’y a aucun moyen de s’échapper, et qu’on va vivre plus d’un mois sans voir la lumière du jour…il ne faut pas être claustrophobe ! C’est un petit monde plein d’automatismes, avec son langage, ses rites et sa culture. Mais humainement, partager la vie de cette communauté, en plus d’être un honneur, est quelque chose d’extrêmement fort.

Le premier contact avec les hommes d’équipage est un peu stressant car on n’a pas deux fois l’occasion de faire une première bonne impression ! Il faut réussir à se faire accepter. Car dans le sous-marin, il n’y a pas d’endroit où l’on peut s’isoler, on est en permanence soumis au regard de l’autre, tous tributaires les uns des autres dans ce monde clos.

Comment s’est passé votre premier « baptême de l’Arctique ?

Tous ceux qui ont posé les pieds dans le monde polaire vous le diront. La première rencontre avec l’Arctique est quelque chose de bouleversant. La première fois que je me suis retrouvé sur la banquise en face d’un glacier, j’ai senti les larmes me monter aux yeux... L’Arctique, c’est le choc esthétique permanent !

La première fois, je suis allé rejoindre Alan Le Tressoler, avec qui je suis parti cette année au pôle Nord. Il était le responsable de la base polaire française de Ny-Alesund située à 1000 km du Pôle. Comme nous nous connaissions depuis la fac de droit – ça mène à tout ! -, j’ai eu envie de faire un livre sur lui, puisqu’il était depuis deux ans « l’homme le plus au nord du monde ».

Mais, comme souvent, rien ne s’est passé comme prévu. Une semaine après mon arrivée, Eric Brossier, le capitaine du voilier Le Vagabond, servant de base scientifique et pris dans les glaces en hiver, avait besoin de se faire remplacer. Alan m’a alors proposé à l’aventurier et j’ai ainsi relevé l’équipage du Vagabond pendant un mois, seul sur la côte Est du Spitzberg. J’étais chargé de l’entretien du bateau et d’effectuer des relevés scientifiques. Pendant un mois, je me suis retrouvé dans une solitude absolue avec trois chiens-loups qui n’avaient de cesse de hurler à la mort dans le jour permanent de l’Arctique…

 J’ai eu l’impression d’être un peu comme le Petit Prince de Saint-Exupery , en haut de ma petite planète.  Ce décor lunaire n’avait rien de commun avec ce que je connaissais, j’avais l’impression d’être sur le toit du monde. Dépourvu de vie sociale, cette expérience a été comme une rencontre avec la Terre où j’ai pu prendre conscience de sa fragilité…

Tous les jours, je découvrais des traces d’ours polaire près du bateau. Avec le jour permanent, mon rythme s’était décalé : il ne faisait jamais nuit. La température extérieure oscillait entre -25 et 0 °C tandis qu’il faisait entre -2 et 0 °C dans le bateau. Pour avoir de l’eau, je faisais fondre la glace provenant d’un iceberg grâce à un petit poêle disponible sur le bateau. La seule chose que je faisais à heure fixe, c’était nourrir les chiens. Se retrouver sur ce petit voilier rouge posé sur le toit du monde, loin de toute civilisation, à plus de cent kilomètres du premier être humain, a été un véritable voyage intérieur…

 De retour à la civilisation, j’ai eu du mal à m’exprimer pendant une semaine j’avais perdu l’habitude de parler. J’ai eu beaucoup de mal à me réadapter.

D’ailleurs je ne suis peut-être pas encore totalement revenu de ce voyage…

Après cette expérience enrichissante et éprouvante, avez-vous eu envie de repartir ? 

Oui, bien sûr, une fois piqué par le virus polaire, c’est dur d’y échapper. Quand Alan Le Tressoler est rentré en France après près de trois ans sur la base arctique française, nous n’avions qu’une envie, c’était de repartir. Alan savait que les scientifiques avaient besoin d’effectuer des mesures sur le pôle Nord géographique mais que très peu de données existaient.

Puis, en faisant plusieurs conférences nous nous sommes aperçus que peu de gens connaissaient l’océan arctique, un océan qui s’étend pourtant sur 13 millions de km2 soit six fois la taille de la méditerranée, recouvert de 11 millions de m2 de banquise d’une épaisseur moyenne de 2 mètres.

C’est ainsi qu’est né notre projet d’expédition « Pôle Nord 2012 » : sensibiliser le grand public aux problèmes rencontrés par l’océan arctique et recueillir des données scientifiques au pôle Nord géographique étaient nos deux axes de priorité.

Pour lancer le projet Pôle Nord 2012, vous êtes enfermé dans un congélateur pendant les vacances de Noël 2011 ? 

Le seul moyen de réaliser notre expédition était de frapper un grand coup ! On n’avait pas d’argent, alors il nous a fallu des idées. Car pour tout vous dire, monter une expédition polaire de ce genre est quelque chose de particulièrement compliqué.

Il a donc fallu se démarquer et lancer le projet en grande pompe. Avec le soutien de Michel Rocard, du Prince Albert II de Monaco, de la Marine Nationale, des différents ministères et centres de recherche, nous avons lancé la semaine de Noël notre petit laboratoire polaire en s’enfermant 9 jours et 8 nuits, dont la nuit de Noël, dans une chambre froide à -28°C prêtée par l’entreprise de surgelés Argel, mécène de l’expédition… L’idée était de tester le matériel et notre résistance dans des conditions extrêmes mais aussi de faire parler de l’expédition pour  trouver les 300 000 euros nécessaires au projet.

Et ça a marché : le jour de notre entrée dans le congélateur, on faisait le buzz… Toutes les chaînes de télévision nationales et 180 médias différents, du monde entier parlaient de notre expédition.

A-t-il été difficile de trouver des sponsors ? 

Le financement est la principale difficulté de ce type de projet. Nous nous sommes battus sans relâche jusqu’à la veille du départ pour boucler le budget ! Quand vous n'êtes pas connu et que l'économie est en pleine crise, il faut dépenser une énergie folle pour convaincre d'éventuels financeurs. Les entreprises reçoivent chaque mois des centaines de demandes de financement pour des projets en tous genres alors que leurs dépenses en communications se resserrent d’années en années. De notre côté, nous avons eu la chance de nouer une relation exceptionnelle avec Argel, l'entreprise de surgelés à domicile, basée en Bretagne et qui nous a beaucoup aidé.

Arrivés au Pôle Nord,  comment avez-vous vécu sur la banquise ? 

Nous étions à 800 km de la première côte et à 1200 km du premier village habité.  Nous dormions dans une simple tente sur une banquise d’1,5 mètres flottant au dessus de 4200 mètres de profondeur. Nous mangions de la nourriture lyophilisée. L’essentiel du temps était consacré aux mesures et prélèvements scientifique à savoir la mise à l’eau de nos filets à plancton, de nos bouteilles de prélèvement d’eau, de nos sondes bathymétriques, prélèvements de neige, de glace, mesures de radioactivité et météo…

Quelles étaient les températures de jour et de nuit ? 

C’était le jour permanent, une caractéristique qui demande quelques jours d'adaptation, avant de trouver son rythme. Les températures moyennes étaient autour de -30°C mais suivant la vitesse du vent, la température ressentie pouvait être bien plus faible.

Qu’avez-vous envie de dire aux gens qui ont peur pour vous ? à ceux qui trouvent que c'est de la folie ? 

Ce projet, finalement, est bien loin d’être fou. Cette expédition n’a pu réussir que parce qu’elle a été extrêmement préparée, si le risque est bien réel, nous sommes partis dans les conditions de sécurité maximales. Notre équipement était ce qui se fait de mieux au monde aujourd'hui. Nous ne sommes pas des têtes brûlées, chaque manipulation et chaque geste que nous faisons là-haut est l'objet de procédures et de préparation. Notre mission est avant tout scientifique mais c'est aussi un témoignage que nous souhaitons faire partager au plus grand nombre. Nous sommes bien conscients de la chance que nous avons eu d’accéder à l’axe de rotation de la Terre. Ce qui est fou, c’est l’énergie que demande ce genre de projet : il faut avoir l’esprit d’un entrepreneur et une sacrée santé. Et surtout ne jamais rien lâcher! Entre l'idée de l’expédition et sa réalisation, c'est deux ans de travail, des milliers de mails envoyés, des centaines d'heures au téléphone, des dizaines de conférences, un combat permanent pour convaincre la cinquantaine de partenaires qui nous suivent. C'est comme créer une petite entreprise, bien loin de la banquise, il y a aussi énormément de travail de bureau. Le rêve a un prix, et ce n’est pas donné !

Quel est votre plus beau souvenir ? 

Vivre sur la banquise est une des choses les plus extraordinaires qu'il m'a été donné de vivre. Dans ce décor vierge et brut, c'est le choc esthétique permanent. Cet environnement est d'une telle puissance qu'on y oublie tous les sacrifices, le froid, l'inconfort et la fatigue. Chaque journée passée sur la banquise est unique et restera gravé dans ma mémoire.

Et la douche chaude après un mois passé au pôle Nord,évidemment !

Et le pire souvenir ? 

En avril 2011 lors de notre expédition au Groenland pour nous préparer au pôle Nord, nous avons été contraints de tuer deux ours polaires. Ce fut la pire journée de ma vie. Car Alan comme moi aimons et respectons beaucoup cet animal et que nos travaux consistaient à mieux comprendre son territoire et par là même à protéger cette espèce. Mais ils ne nous ont pas laissé le choix. L’ours est le plus grand prédateur de l'Arctique. C’était eux ou nous. Et je suis heureux d’être encore en vie.

Quels sont vos projets aujourd'hui  ? 

Je prépare un film documentaire sur ces expéditions ainsi qu’un livre de récits. Nous proposons également des conférences partout en France pour le grand public et les entreprises. Alan, quant à lui, repart pour le Groenland à bord d’un voilier d’expéditions polaires. Il y restera une année entière emprisonné dans les glaces avec un programme scientifique et pédagogique. Et bien sûr, j’irai le rejoindre pour filmer son expédition… Quand je vous disais que l’Arctique était une drogue dure, on ne décroche pas de la banquise si facilement !


Julien Cabon lors de l'expédition Pôle Nord 2012


En savoir plus ? Suivez le fil polenord2012.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire